Yves TOURNE a réalisé sa formation à Grenoble et s’est orienté tôt dans son cursus hospitalier vers la chirurgie du pied et de la cheville. Depuis 2001 il exerce en libéral et il se consacre exclusivement à cette spécialité. Il a été secrétaire puis président de l’Association Française de Chirurgie du Pied, et il est secrétaire général de l’European Foot and Ankle Society. Il nous fait profiter de sa considérable expérience dans ce domaine.
Où exercez-vous ?
J’exerce à Grenoble en secteur libéral après avoir longtemps été dans le secteur public puisque j’étais praticien hospitalier au CHUR de Grenoble, à l’Hôpital Sud. Je viens de modifier mon installation libérale car j’ai rejoint le groupe des chirurgiens orthopédistes de la clinique des Cèdres.
En quoi consiste votre pratique chirurgicale ?
Je fais exclusivement de la chirurgie du pied et de la cheville et ce depuis plus de 20 ans aujourd’hui. De façon très sporadique il m’arrive de réaliser pour des patients que je connais depuis longtemps et à leur demande, une prothèse de genou.
Le pied concerne plutôt les personnes âgées et la cheville plutôt les jeunes ?
C’est en fait plus nuancé : la chirurgie de l’arrière-pied et de la cheville peut concerner des patients âgés atteints de polyarthrite rhumatoïde, d’arthrose, de goutte mais on trouve aussi des sujets jeunes porteurs de lésions post-traumatiques, de pieds plats valgus, et bien évidemment des sujets sportifs aussi bien de loisir que des sportifs de haut niveau. Pour l’avant-pied, la population est également partagée, entre hallux valgus congénitaux ou se déclarant entre 30 et 40 ans, et des hallux valgus vieillis avec des troubles majeurs de l’avant-pied et une arthrose du gros orteil.
Quoi de neuf dans l’entorse de la cheville ?
Vous saurez tout quand vous aurez lu le livre qui va sortir chez Elsevier Masson et que je co-dirige avec Christian Mabit. En effet, la cheville instable est un de mes sujets favoris depuis de nombreuses années et ce livre aborde tous les aspects de la cheville instable, depuis l’entorse aigue initiale dont on ne connaît pas toujours les secrets jusqu’à l’instabilité chronique qu’elle soit par laxité, défaut d’axe, défaut de posture, défaut de proprioception ou par suite de trouble neurologique.
Dans une entorse grave, faut-il immobiliser rigoureusement la cheville ?
Je pense que dans le cadre de l’entorse grave, c’est-à-dire avec rupture ligamentaire, l’immobilisation de 6 semaines doit devenir la règle et c’est une certaine banalisation de ces entorses graves qui conduit le plus souvent à une laxité de cheville.
Nous avions d’ailleurs publié il y a quelques années dans le journal de traumatologie du sport une série de 90 entorses graves de la cheville, toutes immobilisées par plâtre. Les suites avaient été favorables dans 98 % des cas puisqu’il n’y avait que 2 % de laxité résiduelle à un an de recul. On sait néanmoins que c’est la phase aigue qui est la plus importante, c'est-à-dire les 15 premiers jours, là où l’immobilisation doit être la plus stricte possible. Il est envisageable, pour des patients très observants et très entourés médicalement de démarrer la rééducation au-delà du 15è jour, en privilégiant la flexion et l’extension avec de la physiothérapie, et puis petit à petit, au bout d’un mois – un mois et demi démarrer la rééducation proprioceptive, proprement dite. Tout le problème est de savoir à quel public d’entorse grave l’on s’adresse. Mais pour le patient lambda, la sécurité, pour les lésions graves ligamentaires, reste quand même l’immobilisation plâtrée 45 jours. Dans tous les cas, une remise en charge précoce doit être réalisée afin de ne pas créer de troubles trophiques complémentaires.
Si le traitement initial a été approximatif, et qu’à trois mois l’entorse de cheville est encore douloureuse, que faites-vous ?
L’examen clinique est fondamental. Beaucoup d’éléments anatomiques sont accessibles à la palpation, et un examen clinique sérieux va vérifier la longue liste des atteintes possibles et qui ne se limitent pas aux lésions ligamentaires latérales, certes les plus connues. Il ne faut pas méconnaître les atteintes de la syndesmose, les lésions ligamentaires médiales, celles des tendons fibulaires… Autant de diagnostics qui passent souvent inaperçus et constituent ce contingent de douleurs chroniques véhiculées par les patients à plus de trois mois de l’entorse. Ensuite il y a des patients qui ont d’authentiques lésions du ligament collatéral latéral, mais qui ne sont pas encore complètement cicatrisées. Ils peuvent souffrir du syndrome d’interposition tissulaire antérieur qui est une synovite en rapport avec une mauvaise cicatrisation du faisceau antérieur et qui entraîne ces oedèmes à répétition en œuf de pigeon en avant de la malléolaire fibulaire, après un exercice sportif. Il peut également s’agir de lésions ostéochondrales qui sont passées inaperçues lors de l’accident initial ou d’étirement avec fissuration des tendons fibulaires, concomitant de l’accident initial en varus. Tous ces éléments sont donc générateurs de douleurs chroniques dans un contexte parfois de début d’instabilité. Cette analyse clinique nécessite un bilan paraclinique le plus exhaustif possible afin de se faire une idée très précise de ce qui s’est réellement passé au moment de l’entorse. A trois mois de cette entorse, deux situations se présentent alors pour le patient. L’entorse était bénigne, voire de gravité moyenne, sans autre lésion associée, et de la rééducation proprioceptive combinée à un peu de patience assureront la guérison du patient. Mais parfois nous allons redresser le diagnostic pour celui d’entorse grave, mettre en évidence des lésions associées passées initialement inaperçues ; Le temps de récupération sera dès lors plus long et un traitement chirurgical ciblé sera parfois proposé.
L’IRM apporte-t-elle une aide ?
Je pense qu’en urgence l’IRM n’a pas sa place et qu’il vaut mieux utiliser l’échographie, notamment l’échographie dynamique car nous aurons un bilan ligamentaire assez précis dans ce contexte d’urgence ou de semi-urgence. Bien évidemment cette échographie dynamique qui aura pour cible les ligaments et les tendons devra être ciblée et accompagnée par une demande clinique très précise pour que le radiologue puisse nous aider au mieux dans la démarche diagnostique.
Et que faire lorsque l’on voit le patient à six mois avec une cheville un peu instable et laxe ?
Il faut avant tout écouter le patient et essayer d’établir si possible une correspondance entre la laxité et l’instabilité, ce qui n’est pas forcément toujours le cas. Y-a-t-il une laxité vraie aux dépens du ligament collatéral latéral ? Quelle est la participation de l’articulation sub-talaire ? Y-a-t-il des troubles d’axe « préexistants » car on ne s’invente pas du jour au lendemain un varus de l’arrière- pied. Autant d’éléments qui rentrent en ligne de compte dans la démarche diagnostique. Est-ce qu’il y a déjà des lésions ostéo-articulaires secondaires à cette instabilité et c’est pour cela que l’IRM n’est pas forcément le meilleur examen para-clinique à demander en première intention, surtout sur une instabilité ancienne. En effet l’arthroscanner va mieux voir le cartilage. Y a-t-il d’autres lésions ligamentaires associées, est-ce qu’il y a des lésions des fibulaires ? Etablir la tension du triceps et l’éventuelle raideur des muscles jumeaux car elle est un élément incontestable, accentuant l’instabilité. L’évaluation de la proprioception est fondamentale aussi. Tous ces éléments sont importants pour savoir dans quel contexte évoluent cette laxité et cette instabilité.
Mais la séquelle la plus fréquente est bien la lésion du plan latéral ?
C’est vrai que c’est la lésion la plus régulièrement retrouvée. Mais plus j’avance dans ma connaissance de la cheville, plus je m’aperçois que ces lésions ligamentaires isolées du plan latéral ne sont pas aussi isolées qu’il y paraît et qu’il y a beaucoup de lésions associées chroniques ligamentaires autres, concomitantes de l’entorse et qui sont passées inaperçues. Ainsi j’opère de plus en plus ce que j’appelle des instabilités complexes, c’est-à-dire que je vais réparer dans le même temps chirurgical les lésions du complexe ligamentaire latéral et subtalaire mais aussi celles du plan collatéral médial, du spring ligament voire de la syndesmose. Je vais pouvoir traiter conjointement une lésion ostéochondrale du dôme astragalien, voire même réaxer un arrière-pied par une ostéotomie du calcanéus, et ce dans la même séance chirurgicale. Car on sait que la première cause d’échec des plasties du plan ligamentaire latéral, ce sont les désaxations de l’arrière-pied notamment en varus. Je suis devenu extrêmement attentif à l’axe de l’arrière-pied dans les laxités ligamentaires latérales. Ne traiter que la lésion ligamentaire parce qu’elle saute aux yeux, parce qu’il y a une laxité, c’est la porte ouverte à un échec. Ainsi les désaxations de l’arrière-pied, notamment le varus, peuvent être traitées ou stabilisées par des semelles orthopédiques mais au-delà d’une certaine valeur ces semelles orthopédiques s’avèrent insuffisantes et il faudra à ce moment-là corriger chirurgicalement ces désaxations de l’arrière-pied.
Quel type de ligamentoplastie latérale faites-vous le plus souvent ?
Je réalise une remise en tension du plan ligamentaire collatéral latéral c’est-à-dire les faisceaux talofibulaire antérieur et calcanéofibulaire avec un renfort au rétinaculum des extenseurs ou ligament frondiforme.
Que reste-t-il de la technique de Castaing ou des plasties au lambeau périosté ?
En 2008 avec Christian Mabit de Limoges, nous avons dirigé le Symposium de la SOFCOT sur l’instabilité chronique latérale. Avec toute l’équipe du symposium, nous avons revu 310 cas de ligamentoplasties de la cheville se répartissant en 2 groupes. Le premier groupe comprenait des plasties anatomiques reconstruisant les faisceaux lésés par remise en tension simple du plan ligamentaire latéral, à la façon de Boström ou de Duquesnoy et plasties de réinsertion des ligaments des faisceaux ligamentaires associée à un renfort soit au périoste, soit au rétinaculum des extenseurs voire au 3è fibulaire. Le deuxième groupe était constitué des plasties ténodésantes utilisant le court fibulaire, prélevé partiellement ou en totalité. Force a été de constater que les moins bons résultats ont été obtenus par les plasties utilisant la totalité du court fibulaire et connues en France sous la dénomination de technique de Castaing. Les meilleurs résultats de cette série étaient les remises en tension du plan ligamentaire latéral associées à un renfort au périoste ou au 3è fibulaire et surtout au rétinaculum des extenseurs. Cette intervention est connue outre atlantique sous le terme de Broström et Gould, et en France sous le terme de ligamentoplastie de Blanchet modifié. En effet, Dominique Saragaglia a modifié cette technique et j’ai réalisé par la suite quelques modifications techniques supplémentaires (ancres et vis d’interférence). Il s’agit de détacher totalement un lambeau de la partie supérieure du retinaculum, jusqu’à son insertion sur le calcanéus, à la partie inférieure de l’orifice externe du sinus du tarse. On le bascule vers l’arrière et on le réinsère à la malléole fibulaire. Cela crée un véritable néo-ligament qui va renforcer le plan ligamentaire du patient mais en même temps ponter, donc stabiliser, l’articulation sub-talaire. Evidemment le périoste peut être une solution de renfort mais il n’est pas toujours de bonne qualité et l’on peut avoir de mauvaises surprises à l’ouverture s’il est absent. Par contre le rétinaculum des extenseurs lui, est toujours présent. Cette idée de plastie anatomique avec renfort en utilisant le rétinaculum des extenseurs soit à la façon de Gould, soit à la façon de Blanchet modifié est une idée qui aujourd’hui emporte de plus en plus l’adhésion des chirurgiens qui s’occupent de l’instabilité de cheville. D’abord parce que c’est une plastie anatomique, ensuite parce qu’elle épargne le court fibulaire, qui est un stabilisateur actif de la cheville prépondérant et enfin, parce que les résultats au long recul, c’est-à-dire au-delà de 10 ans, tant en matière de stabilisation que de dégradation arthrogène de la cheville sont excellents.
Quelles interventions réalisez-vous sur les désaxations de l’arrière-pied ?
Je traite les pieds creux varus en fonction de leur type. Si c’est une forme antéro-interne, je ferai une ostéotomie de translation latérale, quelle qu’en soit la technique, associée à une élévation du 1er métatarsien. Mais selon la complexité du pied creux, je pourrai être amené à proposer une tarsectomie, même si ce n’est pas une intervention que j’affectionne beaucoup car elle est très enraidissante. Dans certains cas il vaudra mieux réaliser une triple arthrodèse de l’arrière-pied pour des pieds creux sévères, surtout s’il y a un contexte neurologique sous-jacent. J’entends par triple arthrodèse, l’association arthrodèse talonaviculaire, subtalaire et calcanéocuboïdienne. Concernant la chirurgie du pied plat, j’opère des enfants, entre 9 et 13 ans, en réalisant une arthrorise, avec tous les nouveaux systèmes de stabilisation de la sous-talienne et j’y associe souvent un geste d’allongement des jumeaux. Enfin pour le pied plat de l’adulte, notamment dans un contexte d’insuffisance du tendon du tibial postérieur, voire du spring ligament, je répare l’ensemble de ces lésions en associant une ostéotomie de médialisation du calcanéus, une greffe du tibial postérieur par le fléchisseur commun des orteils et la réparation des lésions du spring ligament lorsqu’elles existent.
Passons à l’arthrose de cheville ; le débat se fait-il entre prothèse et arthrodèse ?
Oui, mais il ne faut pas oublier la chirurgie conservatrice c’est-à-dire au stade de pré-arthrose. On peut dire qu’il y a trois grands volets dans le traitement de l’arthrose de cheville, et ce sont les travaux d’Hinterman qui ont bien codifié cela. En effet, dans la chirurgie conservatrice, il faut savoir dans certains cas proposer une ostéotomie supra-malléolaire, voire une ostéotomie infra-malléolaire au niveau de l’arrière-pied pour rééquilibrer une cheville avant qu’elle ne sombre totalement dans l’arthrose.
Concernant les prothèses de cheville, mes indications sont devenues plus précises et plus prudentes. Pour une arthrose avérée, centrée, sans problème ligamentaire, sans trouble d’axe majeur avec une bonne mobilité, et à condition là-encore d’avoir délivré une information claire au patient, une prothèse de cheville sera tout à fait intéressante. Il me paraît hasardeux d’essayer de régler en même temps tous les problèmes qui entourent l’arthrose de cheville et réaliser une ostéotomie supra-malléolaire dans le même temps que la prothèse de cheville. De la même manière l’association de gestes tels qu’une arthrodèse sub-talaire, une ligamentoplastie latérale rendent probablement plus aléatoire les résultats d’une prothèse de cheville dès lors qu’ils sont réalisés dans le même temps chirurgical. Il est clair que la première cause d’arthrose de cheville étant devenue aujourd’hui l’instabilité, c’est-à-dire des séquelles d’origine ligamentaire, la perspective de poser une prothèse de cheville en association avec le traitement de cette laxité, voire d’un défaut d’axe, ne me séduit plus et je préfère alors proposer au patient une arthrodèse de cheville. Cela relance le débat sur l’instabilité de cheville et la nécessité autant que faire se peut de corriger les causes de l’instabilité avant qu’elles ne créent les conditions favorables au développement d’une arthrose.
L’arthrodèse, vous la faites sous arthroscopie ou à ciel ouvert ?
Je la fais à ciel ouvert, peut-être parce que je ne vois que des arthroses complexes. Les spécialistes de l’arthroscopie vont dire que c’est possible même dans ces cas complexes et très désaxés mais à titre personnel je préfère plutôt la technique à ciel ouvert, probablement aussi par habitude technique.
Quelle technique utilisez-vous ?
Pendant de nombreuses années et comme me l’avait enseigné Dominique Saragaglia à l’hôpital sud de Grenoble, j’ai utilisé un fixateur externe et une greffe osseuse interposée. On plaçait d’abord le fixateur, on fixait ensuite la cheville dans la position finale souhaitée puis on abordait l’articulation, réséquait le cartilage et l’os et l’on comblait le défect osseux créé par une greffe cortico-spongieuse morcelée pris au niveau de la crête iliaque. J’ai pratiqué cette technique, même après m’être installé dans le privé. Puis en raison des difficultés de gestion post-opératoire, je me suis essayé à des techniques plus légères avec en particulier des ostéosynthèses par vissage en croix ou par des agrafes. Comme tout un chacun, j’ai eu des problèmes de stabilité et je me suis tourné vers un système plus rigide, sous l’impulsion de Hinterman et j’utilise donc depuis lors, quel que soit le type d’arthrose que j’ai à traiter, des plaques antérieures mises par une voie d’abord antéro-médiale.
Comment sont ces plaques ?
Ce sont des plaques anatomiques qui épousent la face antéro-médiale et antéro-latérale du tibia pour pour venir se fixer sur le col du talus. Des vis permettent un rappel antéro-postérieur pour se fixer dans le talus. Lorsqu’il y a aussi une arthrodèse sub-talaire associée, je pratique une voie d’abord latérale complémentaire pour aviver les articulations sub-talaires antérieure et postérieure, et des vis plus longues partant de la plaque vont s’ancrer directement dans le calcanéus permettant de réaliser ainsi à la fois une arthrodèse tibio-talienne et sub-talaire. J’utilise ces plaques aussi pour les reprises de prothèse, le défect étant comblé par une greffe. Cette greffe est le plus souvent mixte avec des têtes de banque et une greffe cortico-spongieuse prise au niveau de la crête iliaque. Dans de rares cas, lorsque le défect osseux est important, les plaques actuelles ne sont pas assez longues et j’utilise un clou rétrograde.
Les suites ?
Le plâtre est important après une arthrodèse, avant tout pour permettre la cicatrisation cutanée de la voie d’abord. Je mets en place un plâtre sans appui pendant un mois et demi puis avec un appui ensuite, en fonction bien sûr de la qualité de l’os, de la stabilisation du montage mais qui est le plus souvent excellente avec les plaques et de l’interposition ou pas d’une greffe osseuse massive.
Avez-vous eu des problèmes de conflit entre la malléole latérale et le calcanéum lors de l’arthrodèse ?
J’essaie autant que possible de conserver la forme anatomique des os de cette articulation et je réalise un resurfaçage du talus et du tibia jusqu’à me retrouver en zone sous-chondrale. La plupart du temps la libération des ostéophytes et la libération ligamentaire permettent de corriger la position du talus dans la mortaise conduisant ainsi une arthrodèse en bonne position. Cela évite les problèmes de conflit puisqu’il y a très peu de perte de hauteur. Il y a des cas bien évidemment où les cals vicieux, aussi bien tibiaux que taliens, font réaliser plutôt des résections osseuses planes. Néanmoins dans ma pratique quotidienne, je fais la plupart du temps un resurfaçage, même dans les déviations importantes que j’arrive le plus souvent à corriger. En cas de cal vicieux préexistant, il peut m’arriver de faire une ostéotomie ou une résection de la pointe de la malléole latérale pour éviter tout conflit. Cela se prévoit lors de la planification pré-opératoire.
La chirurgie du tendon calcanéen semble vous intéresser …
C’est effectivement un de mes sujets favoris. Ce qui m’intéresse surtout ce sont les tendinopathies ou les problèmes du tendon calcanéen à son insertion et cela regroupe des causes multiples. Il faut néanmoins démembrer cette pathologie qui revêt plusieurs aspects. Il existe les tendinopathies d’insertion pure avec calcification mais avec une morphologie normale du calcanéus. Il existe des rétractions du système suro-achilléo-plantaire qui majorent l’entésopathie. Et il existe enfin des formes anatomiques particulières du calcanéus qui peut être très bossu dans sa partie postérieure et c’est la classique maladie de Haglund, mais qui peut être aussi très pentu comme dans les pieds creux et de plus qui peut-être très pentu et très long. Dans ce cas-là l’ostéotomie de Zadek qui va modifier la forme du calcanéus sera très intéressante. En effet, lorsque l’on se limite à réséquer la saillie postérieure du calcanéus pour diminuer le conflit entre la partie postérieure du calcanéus et le tendon calcanéen, les résultats peuvent être bons si le conflit est l’unique problème, mais un certain nombre d’échecs ont été rapportés et je me suis intéressé à la morphologie de ce calcanéus.
Sur quels critères morphologiques posez-vous l’indication d’ostéotomie calcanéenne ?
Toute une batterie de tests radiologiques publiés dans la littérature sont à notre disposition, mais aucun ne fait l’unanimité dans ces problèmes de conflit postérieur. Nous avons défini depuis quelques années un rapport très simple de longueur entre la longueur totale du calcanéus et la longueur de la grosse tubérosité, ce rapport permettant de dire si l’on est en présence d’un calcanéus trop long ou au contraire si l’on est en présence d’un calcanéus normal, le conflit et la tendinopathie ayant alors une autre cause. Dans le cas où le calcanéus est défini comme trop long, l’ostéotomie de Zadek trouve toute sa place, de la même manière qu’elle trouve son indication dans un pied creux postérieur, souvent associé à un calcanéus trop long avec une pente excessive. Cette ostéotomie est une ostéotomie de soustraction à base dorsale et à pointe plantaire permettant de basculer vers l’avant la grosse tubérosité, diminuant ainsi les contraintes sur le tendon d’Achille en diminuant son bras de levier. L’effet de cette ostéotomie est donc multifactoriel.
Techniquement vous gardez toujours la charnière plantaire ?
En l’absence de pied creux postérieur, le seul problème est effectivement celui d’un excès de longueur. Je garde alors la charnière plantaire afin de réaliser une ostéotomie isolée d’avancement. Lorsqu’il y a un pied creux plus prononcé, en complément de cet excès de longueur, il peut être intéressant de rompre cette charnière afin d’obtenir un petit effet d’ascension de la grosse tubérosité, ce qui accentue la diminution de la pente. Dans tous les cas, la bascule vers l’avant de la grosse tubérosité va détendre le tendon calcanéen. Par ailleurs, pour corriger un varus, au lieu de retirer un coin symétrique permettant de faire une bascule antérieure pure, on peut réaliser la résection d’un coin asymétrique qui va permettre à la fois l’avancement de la grosse tubérosité, tout en corrigeant la désaxation avec un effet valgisant.
Dans l’avant pied, vous vous êtes intéressé à l’arthrose de la première métatarso-phalangienne : l’arthrodèse reste-t-elle la référence ?
Comme pour l’arthrose de cheville, on pourrait dire qu’il y a aujourd’hui trois grandes indications chirurgicales dans l’arthrose de l’articulation métatarso-phalangiene du gros orteil et que les indications respectives des unes et des autres sont fonction du stade évolutif. Il y a la place dans certains cas pour des ostéotomies conservatrices qui vont diminuer la longueur métatarsienne et phalangienne pour décomprimer l’articulation. On peut aussi discuter la mise en place de prothèse mais aujourd’hui les expériences prothétiques ont été plutôt décevantes. La chirurgie prothétique reste donc confidentielle compte tenu du nombre d’échecs et de descellements de ces prothèses. Il y a peut-être une voie de recherche actuelle prometteuse mais qui mérite d’être encore évaluée, c’est l’utilisation de matériaux de remplacement en pyrocarbone qui ont le mérite d’avoir une neutralité vis-à-vis de l’os. Il est très important de prévenir les patients que ces techniques-là peuvent nécessiter à plus ou moins brève échéance une reprise chirurgicale. Ainsi, aujourd’hui, l’arthrodèse du gros orteil reste la chirurgie de référence lorsque l’arthrose est avérée, ce d’autant que les résultats fonctionnels et au long recul sont tout à fait excellents.
Quelle technique conseillez-vous ?
Je privilégie une technique qui permet d’avoir une remise en charge immédiate des patients, sans perte de correction à trois mois avec un taux de fusion avoisinant les 100 % de succès. Je réalise que prétendre que l’on a quasi 100 % de taux de fusion c’est suspect, mais il faut reconnaître que la technique par plaque avec un vissage isolé en compression permet d’avoir un taux de réussite tout à fait excellent. Cette technique doit pouvoir être adaptée à peu près à tous les types de pied, qu’il y ait de l’ostéoporose ou pas. Dans les années 1990 et en poursuivant les travaux de notre service d’Orthopédie de l’Hôpital Sud, nous avions été les précurseurs en défendant l’intérêt d’un vissage en compression et d’une plaque dorsale de neutralisation. Nous avions publié en 1997 les premiers résultats en utilisant une vis spongieuse à compression de diamètre 4 mm et une plaque de neutralisation ¼ de tube, et l’on respectait ainsi l’école AO qui défendait le vissage en compression et les plaques de neutralisation. Depuis, même si ces matériaux et le design de ces matériaux se sont améliorés, nous sommes restés fidèles à ce principe de la vis en compression et de la plaque.
La plaque est dorsale et la vis plantaire ?
Quelle que soit l’évolution concernant la vis et la plaque, c’est-à-dire l’évolution des matériaux, j’insiste sur un point très important : la vis doit partir de la partie plantaire et médiale de la phalange, sortir dans la partie latérale du premier métatarsien et donc doit impérativement être bicorticale afin de réaliser une compression qui sera plutôt dans la partie plantaire de l’arthrodèse. Cette vis est donc oblique en haut et en arrière et en dehors. Cette compression dans la partie plantaire de l’arthrodèse va éviter l’ouverture plantaire du montage lors de la mise en place de la plaque dorsale. Cette plaque dorsale, avec un système de compression complémentaire va compléter le montage et assurer la stabilisation en rotation.
Etes-vous à l’origine du fraisage articulaire convexe-concave ?
Non, je n’en suis pas à l’origine, mais cela fait partie de ma technique quand je fais une arthrodèse du gros orteil. Après avoir utilisé une vis spongieuse et une plaque ¼ de tube, comme me l’avait montré Dominique Saragaglia, j’ai évolué et participé à la conception d’une plaque d’arthrodèse anatomique avec vis verrouillées, associées à l’utilisation d’une vis en compression. Je ne prône pour ma part pas l’utilisation d’une vis en compression solidaire de la plaque, mais je ne prône pas non plus une plaque isolée. Des travaux récents que j’ai conduits sur le plan biomécanique et qui sont en cours de publication, ont confirmé que le montage le plus stable par rapport à tous les autres montages était celui combinant une vis en compression indépendante associée à une plaque dorsale de neutralisation. Bien évidemment le débat reste ouvert sur l’utilisation de vis verrouillées ou non mais aujourd’hui si l’on respecte un cahier des charges du verrouillage, on ne doit pas avoir ces problèmes de soudure à froid qui ont été rapporté avec l’utilisation de certaines formes de verrouillage.
Que voyez-vous comme avantage au fraisage convexe-concave par rapport à une coupe plane ?
Cette technique a le mérite de permettre à des débutants dans l’arthrodèse du gros orteil, de pouvoir positionner jusqu’au dernier moment avant la fixation finale leur arthrodèse si la position initiale ne leur convenait pas. Inversement, lorsque l’on utilise des coupes planes, il faut obtenir d’emblée le bon positionnement sinon le bon positionnement se fera par des coupes successives avec au final une perte de substance osseuse qui peut être préjudiciable. En effet, lorsque l’on utilise des coupes planes, le positionnement en valgus et en flexion dorsale de l’arthrodèse sera réalisé dans la coupe métatarsienne. L’intérêt du fraisage c’est de réaliser par un fraisage « mâle et femelle » des pièces osseuses avec des fraises adaptées aux différents calibres osseux. L’intérêt de ce fraisage c’est de limiter la perte de substance osseuse et ce fraisage sera d’autant plus conseillé dès lors qu’il existe une brièveté du 1er rayon.
Quels sont les inconvénients de ce fraisage convexe-concave ?
C’est avant tout le risque d’attrition des parties molles qu’il faut protéger à tout moment de la fraise. Il faut donc être très prudent lorsque l’on réalise ce fraisage car on n’a pas autant de place que pour le fraisage d’un cotyle. Le contrôle de la vitesse de rotation et l’utilisation d’écarteurs sont bien sûr des éléments importants. Un reproche que je ferais personnellement même si cela n’est pas de l’avis de tous mes collègues, c’est que l’on peut moins bien corriger par un fraisage convexe concave la forme arquée d’une phalange, c’est-à-dire l’existence d’un hallux inter-phalangien. Les coupes planes permettent de mieux corriger cela puisqu’en réalisant une coupe cunéiforme à la base de la phalange pour réaliser la résection osseuse, on va de ce fait corriger cette tendance à la courbure de la 1ère phalange du gros orteil.
Les détracteurs de cette technique mettent en avant le risque de pseudarthrose et de nécrose osseuse …
Concernant la pseudarthrose, nous avons réalisé une série prospective à partir de 100 arthrodèses du gros orteil, 50 avec fraisage et 50 avec coupe plane. Sur ces 100 cas, à plus d’un an et demi de recul, nous n’avons déploré aucune pseudarthrose. Ainsi avec le même montage stable, vissage isolé et plaque de neutralisation, le type de préparation osseuse n’influe pas sur le résultat final. Cela dit, certains collègues qui utilisent un montage plus élastique par une vis isolée et une broche complémentaire, ont vu augmenter leur taux de pseudarthrose lorsqu’ils sont passés de coupes planes, qui étaient leur habitude, à des fraisages convexes concaves, qui certes ont le mérite d’être plus simples à orienter, mais qui sont moins stables que l’affrontement par coupe plane. Un autre élément qui parait important lorsque l’on utilise le fraisage, surtout lorsque l’os sous-chondral est assez dur comme dans l’hallux rigidus, c’est la réalisation de façon systématique de perforations de Priddie. Enfin pour ce qui est de la nécrose, elle n’est pas due au fraisage mais surtout à un problème de stabilité ou encore à une voie d’abord extensive qui peut menacer les vaisseaux à la partie inférieure de la tête du 1er métatarsien. Enfin, je dirai que le tabagisme aujourd’hui est un élément non négligeable dans les nécroses osseuses et dans les problèmes de cicatrisation cutanée.
Comment réglez-vous la position de l’hallux ?
La position idéale de blocage de l’articulation du gros orteil c’est une vingtaine de degrés de dorsi-flexion, une dizaine de degrés de valgus et une pronation neutre, c’est-à-dire l’ongle du gros orteil parallèle au sol. Cependant la dorsiflexion ne se mesure pas sur la partie dorsale de l’arthrodèse mais sur la ligne moyenne. En effet, la phalange du gros orteil est triangulaire. Elle est plate au dessus et oblique dans sa partie plantaire et c’est à ce niveau plantaire que se joue la dorsiflexion. Ainsi par l’utilisation de plaque pré-moulée avec 10° de dorsiflexion, on risque de se retrouver avec 30 voire 40° de dorsiflexion au final. Pour moi, la dorsiflexion idéale c’est quand j’arrive à aligner la phalange et le métatarsien quasiment par la continuité des corticales. Seules des plaques plates, même si elles sont préformées à droite ou à gauche, c’est-à-dire anatomiques, permettent de réaliser un tel montage. Lorsque l’on obtient cette dorsiflexion d’environ 20°, on va avoir un dérouler harmonieux du pas et éviter ainsi des problèmes dus à un excès ou à un défaut de dorsiflexion. Dans ma pratique quotidienne, après avoir réalisé soit mes coupes, soit mon resurfaçage, je stabilise temporairement le montage par une broche. Je positionne un support sous la plante du pied, cheville à 90°. Je contrôle ainsi la dorsiflexion, regarde la position de valgus du gros orteil, de façon à ce qu’il n’y ait pas de conflit avec le 2è orteil et je contrôle enfin la position de l’ongle afin qu’il soit parallèle au plan du sol et qu’il n’y ait pas de problème de pronation résiduelle. Lorsque je suis satisfait de ma pré-stabilisation, je mets en place ma vis de compression puis la plaque dorsale.
Qu’est-ce que cela autorise comme chaussage ?
A une certaine époque, certains confrères demandaient l’avis du patient en fonction de ses habitudes de chaussage, et notamment concernant sa hauteur du talon. Les problèmes apparaissaient ensuite, lors des changements d’habitude de chaussage, induits par l’âge. Doit-on alors expliquer au patient qu’il va falloir lui démonter l’arthrodèse pour la remettre à 20-25° de dorsiflexion ? Cela n’est pas sérieux. Je pense qu’il faut expliquer au patient que les problèmes d’arthrose, l’importance de son hallux valgus, rendent l’arthrodèse incontournable pour le traitement de son affection et que cette arthrodèse se fixe entre 20 et 25° de dorsi-flexion. Les patients peuvent malgré tout mettre jusqu’à 6 cm de talon.
Comment réglez-vous le problème des métatarsus varus de haut degré dans cette arthrose ?
Je pense que dans les hallux valgus majeurs dans lesquels il faut réaliser une arthrodèse du gros orteil, la correction du métatarsus varus va se faire par l’arthrolyse métatarso-phalangienne et ainsi on va pouvoir une fois cette arthrolyse réalisée, positionner le métatarsien dans une position de réduction du métatarsus varus et bloquer la phalange sur ce métatarsien. Par l’effet des mises en tensions des haubans musculaires et ligamentaires, le fameux « windlass mechanism » on va corriger ce métatarsus varus par l’arthrodèse du gros orteil. Ce n’est vraiment qu’en cas d’arthrose cunéo-métatarsienne du premier rayon qu’il faudra, pour corriger le métatarsus varus, réaliser en complément de l’arthrodèse métatarso-phalangienne, une arthrodèse cunéo-métatarsienne de réduction du métatarsus varus par la technique de Lapidus.
Quelle est l’évolution des arthrodèses sur l’articulation interphalangienne ?
Le pourcentage d’arthrose de l’inter-phalangienne est inférieur à 10 % après arthrodèse. Le problème habituel qui conduit à ce type de dégradation de l’inter-phalangienne c’est le défaut de dorsiflexion. En effet, un défaut de dorsi-flexion va entraîner lors du dérouler du pas des contraintes très rapides, très précoces dans l’inter-phalangienne et qui vont très rapidement aboutir à sa dégradation. Il ne faut pas confondre cette situation avec la présence pré-opératoire d’une dégradation de l’interphalangienne qui à priori est une contre-indication à l’arthrodèse métatarso-phalangienne.
Comment traitez-vous l’hallux valgus habituel ?
Après avoir démarré ma pratique par une ostéotomie d’accourcissement de la phalange associée à la remise en tension des parties molles, prônée par l’école marseillaise, j’ai évolué sous l’impulsion de S. Barouk vers le Scarf et aujourd’hui je ne fais que du Scarf : du petit, du grand, du moyen, du court, du long, avec ou sans grande translation. J’ai mis pendant longtemps deux vis et aujourd’hui par la modification du trait d’ostéotomie que nous a enseignée Michel Maestro, je ne mets plus qu’une seule vis et parfois aucune vis ! Je fais toujours cette chirurgie à ciel ouvert alors que j’ai modifié ma pratique pour les rayons latéraux, pour lesquels je ne fais plus que de la chirurgie percutanée. Si l’ostéotomie de Weil a le mérite d’être planifiable mathématiquement, elle n’est pas sans source de raideur pouvant aller jusqu’à 15 à 20 % des cas selon les séries de la littérature, et c’est ce qui m’a poussé à changer ma pratique pour passer d’une chirurgie des métatarsiens à ciel ouvert à une chirurgie percutanée.
Comment avez-vous été formé ?
Mon patron Dominique Saragaglia, qui était chef de service d’orthopédie générale portait un certain intérêt au pied et à la cheville, en particulier à l’arthrodèse de la métatarso-phalangienne et à l’hallux valgus. C’est aussi lui, qui a été le promoteur de l’intervention de stabilisation de la cheville au ligament frondiforme, que j’ai ensuite modifiée avec ma sauce personnelle. « Il m’a mis le pied entre les mains », charge à moi de le développer. C’est ce que j’ai fait comme assistant d’abord puis praticien hospitalier dans son service. Ainsi à la faveur des congrès, des rencontres, des visites, des voyages j’ai développé un certain nombre d’éléments techniques et chirurgicaux pour avoir aujourd’hui une palette d’interventions chirurgicales assez large. Je regrette peut-être de ne pas avoir une pratique de l’arthroscopie plus importante mais peut-être que je peux encore progresser dans ce domaine-là !
Combien de temps votre post-internat a-t-il duré ?
J’ai été assistant chef de clinique à l’hôpital Sud de Grenoble de 1989 à 1991. Je suis devenu ensuite praticien hospitalier et suis resté dans le service de Dominique Saragaglia de 1991 à 2001. J’ai fait ce qu’il fallait pour embrasser une carrière hospitalo-universitaire et j’ai passé un DEA en biomécanique et biomatériaux puis une thèse de sciences que j’ai soutenue en collaboration avec l’INSA, l’école d’ingénieurs de Lyon. C’est alors que l’hôpital qui connaissait mes velléités de devenir hospitalo-universitaire m’a demandé de m’occuper exclusivement des urgences de l’hôpital Nord de Grenoble en me disant que mon avenir était là et qu’il fallait que j’arrête la chirurgie du pied. Il fallait donc que je renonce à ma passion pour la chirurgie du pied et j’ai préféré décliner l’offre et donc en 2001, à l’âge de 40 ans, j’ai donné ma démission pour continuer une carrière en chirurgie du pied mais dans le privé.
Comment s’est passé votre transfert quand vous avez quitté l’hôpital pour aller en ville ?
Très naturellement puisque j’avais déjà un réseau de correspondants très ancré dans le bassin grenoblois. Un cabinet chirurgical cherchait à développer l’activité d’orthopédie et je me suis associé à un de mes anciens internes, Jean Pierre Lantuéjoul, qui était le seul chirurgien orthopédiste de ce cabinet à l’époque. Je le salue au passage et le remercie de m’avoir donné cette opportunité, même si les circonstances actuelles vont nous éloigner à nouveau.
Cela a marché d’emblée ?
Cela a marché d’emblée grâce à ce réseau que j’avais déjà constitué à l’hôpital, tant au niveau des médecins, des kinésithérapeutes que des podologues. J’ai très vite démarré mon activité privée et la plupart de mes patients m’ont suivi dans les cliniques où j’ai commencé à travailler.
Considérez-vous qu’il y a en France une école hospitalo-universitaire de chirurgie du pied ?
Au risque de paraître un peu sévère, je pense que notre système hospitalo-universitaire aujourd’hui pêche par son manque d’implication dans l’enseignement de la chirurgie du pied et de la cheville. A quelques exceptions près, il s’y fait surtout de la chirurgie de la hanche, du genou, du rachis, de l’épaule et bien sûr de la traumatologie. Aujourd’hui, la plus grande part de l’activité chirurgicale concernant le pied et la cheville se fait dans des structures privées qui ne sont malheureusement pas reconnues comme pouvant participer réellement à l’enseignement de cette discipline. C’est quelque chose que je regrette profondément, mais je continuerai à militer pour que des centres d’excellence en chirurgie du pied et de la cheville, soient reconnus comme terrain de stage formateur pour les internes.
Quelle est votre part dans l’enseignement actuellement ?
En 2000 j’ai fait partie de ceux qui ont créé le DIU de chirurgie du pied et de la cheville. J’ai pris conscience que l’on pouvait participer à l’enseignement de la chirurgie du pied et de la cheville en étant dans le privé sans pour autant être resté dans le domaine hospitalo-universitaire. Peu d’universités participaient au départ au DIU puis le système a grossi et s’est petit à petit structuré. Aujourd’hui, ce DIU est devenu incontournable et très prisé par l’ensemble des internes, assistants chefs de Clinique, voire praticiens hospitaliers ou même chirurgiens installés dans le privé par la qualité de l’enseignement qu’il propose. Il serait donc intéressant, si les CHU n’assurent pas la relève, que les instances reconnaissent au secteur privé une mission d’enseignement qu’elle est en mesure d’assurer. Sinon c’est tout un savoir faire qui risque de se perdre.
Par ailleurs vous appartenez à un tas de sociétés savantes ?
Certes, mais aujourd’hui je me suis limité et j’appartiens à trois sociétés dans lesquelles je suis actif. La SOFCOT, l’AFCP et l’EFAS, c’est-à-dire l’European Foot and Ankle Society dont je suis le secrétaire général. J’ai œuvré très activement au sein de FCP pendant plus de 10 ans comme secrétaire puis comme président. Je me suis particulièrement investi dans l’enseignement au sein de l’EFAS. J’ai été pendant 3 ans chairman de l’Education Committee qui est l’organe d’enseignement à travers l’Europe de la chirurgie du pied et de la cheville et des « Instructional Course » ont lieu tous les ans dans une ville d’Europe. J’ai créé aussi, depuis 3 ans, avec mon ami Xavier Martin, un cours de techniques chirurgicales, au laboratoire d’anatomie de la Faculté de Médecine de Barcelone. Ces cours pratiques complètent naturellement ces enseignements théoriques. L’EFAS a des liens très forts avec l’EFORT.
Comment vont les activités de recherche et développement au niveau de la chirurgie du pied ?
Aujourd’hui, globalement, cela devient très compliqué. En effet, la plupart de ces grands groupes sont devenus nord américains. La recherche et le développement se font aux Etats-Unis et l’Europe devient le terrain de jeu et d’expérimentation des matériaux mis au point aux Etats-Unis. Notre savoir faire et le nombre important de patients opérés permet de « tester » les matériaux mis au point outre-atlantique. Aussi la seule chance de mettre en œuvre des bonnes idées que l’on a en Europe, c’est probablement de travailler avec des sociétés à taille plus humaine, dont forcément européennes, locales, pas obligatoirement françaises mais sociétés qui ont une certaine indépendance. Les circuits sont plus courts et les projets de recherche ont des chances d’aboutir plus rapidement. Néanmoins les regroupements multinationaux restent la dominante actuelle.
Comment çà va à Grenoble ?
La population est une population assez sportive, parce que Grenoble est au centre des montagnes avec le ski et tous les sports de neige, d’escalade mais il y a aussi le rugby avec une équipe qui fait partie du Top 14. C’est par ailleurs une ville assez riche avec la présence d’un secteur quaternaire assez développé ; il y a le CEA, les nanotechnologies, de nombreux centres de recherche. Un grand nombre de petites villes autour de Grenoble font même partie du « top ten » des villes à fort potentiel d’investissement. Il y a aussi, comme dans de nombreuses grandes villes, des quartiers où la population souffre avec des zones difficiles, mais peut-être moins qu’ailleurs, notamment que dans la région parisienne. Les rapports avec les patients se sont dégradés, je ne vous apprendrai rien, mais ils restent malgré tout plus simples et conviviaux que dans d’autres grosses agglomérations. Il fait encore bon vivre à Grenoble. La montagne fait partie du paysage, la mer n’est pas loin…
Et quel est votre sport préféré ?
Le rugby est un élément important dans ma vie. J’ai été joueur de poussin jusqu’à junior. J’ai continué à jouer un peu au rugby quand je suis arrivé à Grenoble jusqu’en 4è année de médecine. Je suis issue d’une famille de rugbyman, comme tout bon catalan ! Mon grand-père a été secrétaire général de l’USAP de Perpignan pendant une vingtaine d’années. Aujourd’hui, tout naturellement je prête mon concours médical au staff médical de l’équipe du top 14 de Grenoble. J’essaie de leur apporter mon savoir faire en matière de pathologie du pied et de la cheville.